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L’Épiphanie

L’Épiphanie ou fête des Rois, en référence aux rois mages qui visitèrent et adorèrent Jésus peu de temps après sa naissance, est une fête chrétienne assez populaire de nos jours. Selon les traditions locales, elle a lieu soit le 6 janvier (aujourd’hui) ou le deuxième dimanche après Noël (dans 2 jours). Historiquement, il s’agit d’un jour où les enfants reçoivent des présents à la manière des rois mages qui offrirent l’encens, la myrrhe et l’or au Fils de Dieu. De nos jours dépourvu de son sens religieux, il s’agit surtout d’une occasion de célébrer en famille en dégustant un gâteau levé ou une galette feuilletée contenant une fève symbolique en porcelaine pour désigner un roi ou reine de la soirée.

On n’a jamais célébré l’Épiphanie dans ma famille alors je vous propose aujourd’hui l’une des seules recettes de la cuisine québécoise à porter le nom d’un souverain, en l’occurrence notre défunte souveraine, j’ai nommé le gâteau Reine-Élizabeth.

L’un de mes desserts favoris

J’ai toujours raffolé du gâteau Reine-Élizabeth. Son nom est plus couramment orthographié gâteau reine Élizabeth, sans trait d’union, mais désormais qu’elle est morte, ce dernier s’impose. C’est un gâteau extrêmement moelleux au goût très sophistiqué et prononcé sans être trop sucré. La garniture au caramel et à la noix de coco a aussi un parfum magique légèrement fumé dans les versions de la recette où l’on passe le gâteau terminé sous le grill du four. Lorsque Mamie ou Maman en faisait, je devais me contrôler pour ne pas arracher toute la couche superficielle de la garniture devenue croquante pour la manger d’un seul coup!

Histoire de la recette

Le gâteau Reine-Élizabeth est une pâtisserie de tradition britannique né quelque part entre 1937 et 1953. Il consiste en un appareil à base de purée de dattes recouvert d’une garniture au caramel et à la noix de coco. Il est de la même famille que le célèbre sticky toffee pudding (un gâteau aux dattes garni de caramel, mais cette fois-ci, la garniture imprègne ce dernier) — l’une des rares recettes anglo-québécoises dont les origines remontent au moins à la Seconde Guerre mondiale — ainsi que du moins connu Lazy Daisy cake (un autre gâteau, blanc celui-là, garni de caramel et de noix de coco).

Les origines du gâteau Reine-Élisabeth sont assez nébuleuses et il existe plusieurs hypothèses dont pratiquement aucune ne puisse être vérifiée. Certains racontent qu’il aurait été introduit à la cour du Royaume-Uni entre les années 1930 et 1950 et que la reine mère en aurait raffolé.

Une version de cette théorie véhiculée par nul autre que Ricardo (voir la « Note de l’équipe Ricardo » au bas de sa recette de gâteau reine Élisabeth) veut que la recette ait été donnée à la Reine-Mère par le pianiste Jan Smeterlin. C’est archi-faux. Si l’on sait que M. Smeterlin était un grand cuisinier dans ses temps libres et qu’il a publié un livre de cuisine posthume, la recette qu’il a donné au cuisinier de la Reine-Mère est en fait un gâteau au chocolat sans farine (voir la recette de « Queen Mother’s Cake » du magazine américain Saveurs ainsi que cette recette directement de la femme d’un neveu de M. Smeterlin) à base de farine d’amande et de chapelure. Cette recette est bien plus proche de la tradition culinaire austro-hongroise d’où viennent les racines de M. Smeterlin (de son vrai nom Hans Schmetterling).

Une autre version de cette théorie veut qu’après avoir goûté à ce gâteau, la Reine-Mère en aurait par la suite demandé la recette pour la faire elle-même et le servir elle-même à ses sujets ou encore qu’elle l’aurait distribuée en secret à des organismes de charité partout dans l’Empire pour des levées de fonds. On sait que cette information est fausse, car elle a été maintes fois démentie par le Palais de Buckingham et Clarence House (voir la recette du magazine Food and Drink de la LCBO, la SAQ ontarienne publiée à l’automne 2017). Je n’ai pas réussi à retrouver la copie originale du démenti officiel du palais royal, mais je sais que je l’ai déjà consultée quelque part il y a quelques années.

Une deuxième légende veut qu’il ait été servi au banquet de couronnement de la reine Élizabeth II en 1953. Si vous vous souvenez de ma recette de Poulet Reine-Élizabeth, vous vous souviendrez que ce dessert ne figure pas sur le menu. On y a plutôt servi des galettes à la fraise et une roulade à la mousse au citron.

Concernant l’origine du gâteau Reine-Élizabeth, il n’y a qu’une seule certitude : c’est une recette d’origine canadienne. Plus précisément, elle serait d’origine québécoise, mais ici encore il y a certaines faussetés qui circulent à ce sujet.

La troisième légende la plus répandue — locale cette fois — veut qu’il aurait été créé en 1965 par le chef du Château Frontenac pour une visite royale. Étonnament, ce mensonge sans aucun fondement est répandu par la réputée société d’État Radio-Canada (voir « Vos meilleures recettes franco-manitobaines : le gâteau reine Élizabeth » du 3 mars 2017). Encore plus étonnant, cette fausseté est reprise par l’historien Michel Lambert sur son site (voir « Les gâteaux aux dattes » sur Le Québec cuisine). Ces théories sont fausses pour la simple raison qu’il n’y a pas eu de visite royale à Québec en 1965. La visite a plutôt eu lieu en 1964 (c’est le fameux Samedi de la matraque). Aussi, il est avéré que la recette date de bien avant 1965.

La première mention imprimée de ce gâteau semble venir des Cantons-de-l’Est (Eastern Townships) et remonte aux années 1950, à l’époque où cette région était farouchement loyaliste et encore à majorité anglophone. La recette semble trouver son origine à East-Clifton (une petite localité au sud-est de Sherbrooke) où un gâteau du nom de Queen Elizabeth’s own cake ainsi que sa recette auraient été vendus 15 ¢ chacun par l’East Clifton Women’s Institute durant une campagne de financement (voir le Sherbrook Daily Record, 12 décembre 1953, p. 9). D’autres mentions du gâteau apparaissent également dans d’autres journaux anglais de cette région durant la même période sous le nom de Queen Elizabeth’s favorite cake.

Il existe une recette plus vieille de quelques mois et portant également le nom de Queen Elizabeth II cake. Celle-là a été publiée par le magazine anglo-canadien Chatelaine dans son numéro de juin 1953 pour souligner le couronnement de la souveraine (voir « *Let’s celebrate the Queen’s birthday with cake »). À la lecture de la fiche recette, on constate toutefois qu’il s’agit d’un gâteau différent sur plusieurs aspects : c’est un gâteau à étages, son appareil comporte plusieurs épices et son glaçage est cru, à base de crème et il est aromatisé à l’orange.

Certaines sources affirment que la recette aurait plutôt été créée en 1937 pour souligner le couronnement de George VI et de sa femme Elizabeth Bowes-Lyon (la reine mère). Le gâteau et sa recette auraient également été vendus par différents organismes pour financer l’effort de guerre durant le conflit de 1939-1945 ou encore la reconstruction d’après-guerre. D’autres sources affirment également que la recette serait apparue dans des livres de cuisines communautaires anglo-canadiens sous le nom de Princess Elizabeth cake pour souligner la naissance de la future souveraine. Cela dit, je n’ai trouvé de preuve d’aucune de ces affirmations.

Quoiqu’il en soit, la recette ci-dessous est celle de ma grand-mère et elle n’est plus là pour nous dire où elle l’a prise.

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La recette

Gâteau Reine-Élizabeth

Donne 9 à 16 portions - Préparation : 30 min. - Cuisson : 45 min. – 1 h

Ingrédients

Gâteau

  • 1 t. de dattes dénoyautées, hachées ;
  • 1 t. d’eau ;
  • 1 c. à thé de bicarbonate de sodium ;
  • 1 ½ t. de farine ;
  • ½ c. à thé de poudre à pâte ;
  • ¼ t. beurre ;
  • 1 t. sucre ;
  • 1 œuf.

Glaçage

  • ⅓ t. de beurre ;
  • ½ t. cassonade ;
  • 2 c. à soupe de crème 35% ;
  • ¾ t. de noix de coco râpée sucrée.

Préparation

Gâteau

  1. Préchauffez le four à 350˚F (180˚C).
  2. Placez les dattes, l’eau et le bicarbonate de sodium dans une casserole, portez à ébullition et faites frémir environ 2 min. ou jusqu’à ce que les dattes forment une compote homogène (attention aux débordements!). Retirez du feu et laissez refroidir à température ambiante. Pour accélérer le processus, placez la casserole au frigo ou dans un bol d’eau glacée.
  3. Pendant ce temps, tamisez la farine et la poudre à pâte dans un cul-de-poule, réservez. Dans un autre bol, crémez le beurre et le sucre, puis ajoutez l’œuf et battez jusqu’à ce que le tout forme ruban (prenne une riche couleur crème et une texture onctueuse).
  4. Au mélange de beurre, incorporez en alternant les ingrédients secs et la compote de dattes — qui devrait avoir eu le temps de descendre à température ambiante — en terminant avec les ingrédients secs. À la dernière addition de farine, mélangez seulement suffisamment pour qu’elle soit incorporée, mais pas plus. Il ne faut jamais trop battre la pâte à cette étape sinon ça donne un gâteau très lourd et bombé, ce qui rendra le glaçage difficile à étendre uniformément.
  5. Versez l’appareil dans un moule carré (8’’ x 8’’) préalablement beurré et fariné et enfournez le tout pour 45 à 50 min. Vérifiez la cuisson en insérant un couteau ou une brochette au centre du gâteau après 45 min. S’il en ressort propre c’est prêt, sinon laissez cuire 5 min. de plus.

Glaçage

  1. Placez le beurre, la cassonade, la crème et la noix de coco dans une casserole (rincez celle qui a servi pour les dattes et épargnez-vous d’en salir une autre). Portez à ébullition à feu moyen-doux et laissez cuire pas plus de 5 minutes sans brasser.
  2. Une fois le gâteau cuit, sortez-le du four, versez le glaçage dessus, puis repassez-le au four, sous le grill pendant 5 min. ou jusqu’à ce que les filaments de noix de coco commencent à dorer. Surveillez attentivement pour éviter que ça brûle.
  3. C’est prêt! Servez chaud accompagné d’une bonne tasse de votre thé préféré.

Notes

Pour varier vous pouvez ajouter ¼ t. de noix de Grenoble hachées que vous mélangerez avec les ingrédients secs. Vous pouvez aussi ajouter des amandes effilées ou des pacanes au glaçage. Dans ce cas, veillez à ne pas les carboniser lors du passage sous le grill!

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Bonne fête des Rois et bon appétit!