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Sommaire

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Vers la fin de mon adolescence, j’ai développé une passion pour l’histoire et la culture autrichienne. Au fil de mes lectures, cette passion s’est surtout concentrée sur l’ère du règne de l’empereur François-Joseph Ier de Habsbourg-Lorraine et sa femme, la mythique Sissi, mais particulièrement sur la période politique de l’empire austro-hongrois. Bien sûr, étant qui je suis, ma passion pour ce coin du monde s’est étendue aux cuisines autrichienne et hongroise.

Je me souviens très bien de la première fois que j’ai préparé le plat national hongrois: le bográcsgulyás ou « goulache à la marmite », ce légendaire ragoût de boeuf au paprika mijoté longuement sur feu de bois. Je me souviens également du premier livre de cuisine hongroise que je me suis procuré. Publié chez Culinaria Könemann, il était intitulé Spécialités hongroises. C’est probablement le livre de cuisine que j’ai le plus feuilleté dans ma vie. Je le connais pratiquement par coeur! C’était l’un de mes premiers livres qui n’était pas qu’un recueil de recettes. Il traite également abondamment des coutumes, de la culture et de l’histoire culinaires de la Hongrie.

La recette d’aujourd’hui est largement inspirée de ce livre. Il s’agit des poivrons farcis ou en hongrois töltött paprika. La saison des poivrons du Québec devrait toujours battre son plein pour quelques semaines encore alors si vous en avez planté dans votre jardin, vous saurez quoi en faire! La recette contient également des tomates qui sont toujours de saison en ce moment. Si vous aimez les plats réconfortants, pleins de couleurs et de saveurs et que vous avez un faible pour les cigares au chou, je vous invite fortement à l’essayer. Vous ne le regretterez pas!

Histoire de la recette

La cuisine hongroise

Avant de se lancer dans l’histoire de la recette, voyons d’abord quelques notions de base et historiques de la cuisine hongroise.

Comme la plupart des pays issus du morcellement des Empires centraux après la Grande Guerre de 1914-1918 et contrairement aux grands États-nations d’Europe occidentale, la Hongrie est un pays multiethnique qui compte plusieurs minorités (p. ex. des Allemands, des Roumains, des Serbo-Croates et des Roms). Le peuple majoritaire du pays sont les Magyars.

Originaires de l’Asie centrale et de l’Oural, les sept tribus magyares s’installent dans la plaine de Pannonie en 895 de notre ère. Ils sont à l’origine un peuple nomade. Ils voyagent avec leurs troupeaux de boeufs gris et vivent un mode de vie surtout pastoral dans la Puszta et sur les berges du Danube jusqu’au XIXe s.

Reflétant cet ancien nomadisme et cette vie pastorale, on trouve encore dans la cuisine traditionnelle de Hongrie beaucoup de plats qui étaient à l’origine cuisinés au grand air, sur un feu de camp, dans de grandes marmites de fer suspendues, tels que la goulache ou encore le halászlé. Leur cuisine comporte aussi une très grande variété de viandes conservées au sel, séchées ou fumées. Ils ont ainsi une dizaine de variétés de lards différents que l’on mange sur-le-pouce, grillé sur le feu avec une tranche d’oignon et un bout de pain comme le faisaient les vachers médiévaux.

Les piments de Hongrie

Bien que la cuisine hongroise de tous les jours soit relativement similaire à celles des nations d’Europe centrale et orientale environnantes, là où elle se distingue le plus des autres est par son utilisation des Capsicum, c’est-à-dire les piments et poivrons en tous genres. Si vous vous y connaissez en épices, vous savez déjà sans doute qu’outre le pimenton de la vera (la réputée poudre de piment fumé espagnole), l’autre paprika le plus célèbre du monde est celui fabriqué à partir des piments de Szeged ou de Kalocsa, en Hongrie. Même le mot « paprika », utilisé en français pour désigner toutes les poudres de piment non piquantes, est d’origine hongroise!

Cette épice est tellement ancrée dans la culture culinaire hongroise qu’il existe un cahier de charges gouvernemental très complexe régissant sa production et les différentes appellations. On y dénombre entre autres quatre catégories régissant la qualité, selon les propriétés organoleptiques, physiques et chimiques de l’épice et selon la mouture (különleges « spécial », csemege « délicat », édesnemes « précieux et doux », et rózsa « rose ») couplées à trois catégories de piquant (csípősségmentes ou édes « doux » ou « non piquant », enyhén csípős « légèrement piquant » et csípős « piquant »).

Les origines de cette passion pannonienne pour le piment sont plutôt complexes. D’abord, il faut dire que la plaine hongroise, avec son ensoleillement abondant, réunit les conditions climatiques et météorologiques parfaites pour la culture de cette plante solanacée. Le piment serait arrivé en Hongrie après la conquête du Sud-Est du pays par les Turcs ottomans qui l’occupent de 1541 à 1718. À cette époque, le piment reste une plante ornementale et une épice réservée à la classe ottomane dirigeante. Après leur départ, l’épice fut largement démocratisée dans la population magyare, d’abord à cause du prix exorbitant du poivre noir, puis ensuite à cause du blocus napoléonien qui a rendu l’approvisionnement en épices pratiquement impossible. L’aromatique et piquante poudre rouge remplaçait ainsi un produit exotique onéreux par un autre à la fois local à prix très avantageux. C’est ainsi que les Hongrois ajoutent du paprika en quantité généreuse dans presque toutes leurs recettes traditionnelles en plus d’accompagner chaque repas par des piments frais ou marinés.

Les poivrons farcis

Nous venons de voir l’importance des poivrons, des piments et leurs produits dérivés dans la cuisine hongroise. Voyons maintenant les plats de légumes farcis. Si la présence du paprika en Hongrie est dûe à l’influence turque, il en est de même pour les plats de légumes farcis comme les feuilles de chou ou dans le cas qui nous intéresse ici les poivrons. En cuisine ottomane, ces plats se nomment dolma qui signifie « qui est farci ». Ils sont eux aussi arrivés après la conquête de 1541 et, comme le paprika, ils sont restés après leur départ. Si les Turcs farcissaient toutes sortes de légumes tels que les aubergines, les courgettes et les feuilles de vignes, les vestiges de cette pratique en Hongrie se limitent aux feuilles de chou, aux choux-raves, aux pommes de terre, aux oignons et, bien sûr, aux poivrons. Chaque recette comporte des différences, mais en général, les légumes farcis hongrois sont remplis d’une farce comportant du porc ou du boeuf haché, du riz, des oignons frits au saindoux avec du paprika et d’autres aromates, puis ils sont braisés dans une sauce tomate et servis avec celle-ci, accompagnés de pommes de terre bouillies.

Tout comme le paprika, il existe beaucoup de variétés locales de poivrons dans ce pays, selon l’usage que l’on veut en faire. Pour farcir, les Hongrois préfèrent le tölteni való (souvent abrégé en TV), un poivron jaune pâle et conique d’environ 15 cm de long par 6 cm de large à l’ouverture. À moins que vous ayez un supermarché spécialisé en cuisine d’Europe orientale ou que vous fassiez pousser vous-même cette variété, il vous sera pratiquement impossible d’en trouver. Les meilleurs substituts, selon moi, sont les poivrons cubanelle et les piments banane.

Maintenant que le sujet a été couvert de long en large, on peut passer à la recette!

La recette

Töltött paprika

Pour 4 à 6 personnes - Préparation: 45 min. - Cuisson: 1 h 15

Ingrédients

Pour les poivrons et la farce

  • 8 poivrons hongrois à farcir, de taille moyenne (ou 6 piments cubanelle, 10-12 piments banane ou encore 4-6 poivrons verts ou jaunes ordinaires), équeutés et évidés ;
  • 1 oignon, émincé ;
  • 1 c. à soupe de saindoux ;
  • 1 c. à thé de paprika ;
  • ½ t. de riz blanc à grains longs ;
  • 1 lb (500 g) de viande hachée (porc ou boeuf ou un mélange) ;
  • Sel et poivre du moulin, au goût.

Pour la sauce

  • 540 ml (1 boîte) de jus de tomates (ou 4 tomates fraîches, lavées et hachées) ;
  • 2 t. d’eau ou de bouillon ;
  • 2 c. à soupe de pâte de tomates ;
  • 1 branche de céleri, lavée, en morceaux ;
  • 1 oignon, en morceaux ;
  • Les chapeaux des poivrons ;
  • 2 feuilles de laurier ;
  • 1 bouquet de marjolaine ou de thym frais ;
  • 2 c. à soupe de saindoux ;
  • 2 c. à soupe de farine ;
  • 1 c. à thé de sucre (facultatif, selon l’acidité des tomates) ;
  • Sel et poivre du moulin, au goût.

Préparation

  1. Lavez, séchez, équeutez et videz les poivrons : avec un petit couteau d’office, coupez le chapeau puis retirez la membrane centrale sur laquelle les grains sont collées. Veillez à laisser les poivrons entiers et à ne pas en percer la peau. Émincez l’oignon.
  2. Dans une poêle, faites chauffer le saindoux à feu moyen-vif et faites-y frire l’oignon jusqu’à ce qu’il soit transparent. Ajoutez le riz pour le faire nacrer dans la matière grasse chaude, 1 min. ou 2, puis ajoutez le paprika en brassant. Retirez du feu et laissez refroidir complètement.
  3. Dans un bol, mélangez la viande hachée, la poêlée d’oignon et de riz, le sel et le poivre. Farcissez les poivrons avec ce mélange jusqu’au bord.
  4. Dans une grande marmite, placez au fond la branche de céleri, l’oignon et les chapeaux de poivrons. Disposez les poivrons par dessus cette base, ceci évitera qu’ils brûlent et collent au fond de la marmite pendant la cuisson. Versez le jus de tomates (ou les tomates hachées), l’eau ou le bouillon et la pâte de tomate (préalablement délayée dans le liquide). Placez les herbes aromatiques. Couvrez, portez à ébullition à feu vif, baissez le feu et laissez mijoter 1 h à feu doux.
  5. Lorsque les poivrons farcis sont cuits, retirez-les délicatement de la marmite et réservez-les.
  6. Retirez le céleri, l’oignon, les chapeaux de poivrons, les feuilles de laurier et le bouquet de marjolaine ou de thym et jetez-les.
  7. Si vous avez utilisé des tomates fraîches hachées, passez la sauce au mélangeur ou à la girafe (pied-mélangeur) jusqu’à ce qu’elle soit lisse avant de passer à la prochaine étape.
  8. Dans une petite casserole, faites chauffer le saindoux à feu moyen et faites en roux blanc en y ajoutant la farine. Laissez cuire 1-2 min. En mélangeant sans cesse (au fouet de préférence) ajoutez environ 1 t. du liquide cuisson des poivrons farcis pour délayer le roux. Versez le roux délayé dans la marmite avec le reste du liquide de cuisson, toujours en brassant au fouet. Portez le tout à ébullition, toujours en brassant au fouet, puis laissez cuire 5 min. ou jusqu’à ce que la sauce soit épaissie. Rectifiez l’assaisonnement : si vous avez utilisé des tomates fraîches et non du jus et que la sauce est trop acide ajoutez un peu de sucre, salez et poivrez au goût.
  9. Retournez délicatement les poivrons dans la marmite de sauce et faites-les réchauffer quelques min. avant de servir.
  10. Servez les poivrons et la sauce accompagnés de pommes de terres bouillies, de galuska (spätzle) beurrés ou encore avec mon accompagnement hongrois préféré les petrezselymes újkrumpli (pommes de terre nouvelles persillées au saindoux).

Notes

Le plus difficile avec cette recette est de s’assurer que les quantités de poivrons et de farce concordent ensemble. Il est préférable d’avoir trop de poivrons que pas assez et devoir aller en racheter. Je sais de quoi je parle!

Comme vous le savez, j’ai beaucoup de tomates dans mon jardin cet été alors c’est ce que j’ai utilisé pour la sauce plutôt que du jus. C’est pour cette raison que la recette comporte les instructions des deux options.

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Jó étvágyat!