PSX_20240329_180506.jpg Clermont-Ferrand, la capitale historique de l’Auvergne, chef-lieu du département du Puy-de-Dôme.

La cuisine bleue visite la France!

La semaine dernière, mon mari et moi avons passé des vacances en France. Ce voyage nous a amené d’abord à Paris pour quelques jours, ensuite à Lyon pour une nuit et enfin à Clermont-Ferrand pour la plus grande partie du voyage.

PSX_20240329_175453.jpg Le hameau de Comps.

J’ai choisi l’Auvergne, le département du Puy-de-Dôme plus précisément, car c’est le pays de mes ancêtres paternels. Je me suis même rendu dans le minuscule et pittoresque village des Ancives-Comps pour voir où le premier Dumais de ma lignée ayant traversé l’Atlantique était né. J’ai visité l’église du hameau de Comps où il a été baptisé en 1716 sous le nom de Pierre Rossignol. J’y ai allumé un cierge à la mémoire de mon grand-père, Papa Fernand, qui aurait adoré faire ce voyage. Il aurait sûrement écouté mon récit de voyage à mon retour avec le plus grand intérêt et aurait gardé mon album photos précieusement à côté de son fauteuil pour le feuilleter régulièrement.

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Alors que nous étions à Clermont-Ferrand, John a manifesté l’envie de profiter du fait que nous nous trouvions au pays de la haute gastronomie pour essayer un resto étoilé Michelin. C’était une excellente idée alors j’ai déniché un double-étoilé qui avait de la place pour le soir même : Le Pré par Xavier Beaudiment. L’expérience était tout à fait phénoménale. La qualité des plats servis était sans égal. L’un des mets qui a le plus attiré mon attention fut un amuse-gueule. Il s’agissait d’un canapé formé d’un cube de pain perdu salé à l’oignon et recouvert d’une délicate mousse de fromage et de copeaux de champignons. Même si visuellement le plat ne semblait ne rien avoir en commun, en bouche, c’était comme de prendre une bouchée du croûton fromagé imbibé de la plus exquise soupe à l’oignon gratinée.

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L’idée fût tellement persistante qu’elle m’a donné le goût de faire une soupe à l’oignon le plus tôt possible dès notre retour à la maison.

Même si nous n’en mangions jamais à la maison quand j’étais petit, la soupe à l’oignon gratinée est l’une de mes soupes préférées. C’est mon oncle Guy, le frère benjamin de ma mère, cuisinier de formation et aujourd’hui décédé, qui m’a appris à la préparer. C’est probablement l’un des derniers plats que je me rappelle l’avoir vu préparer chez nous.

L’une des raisons pour lesquelles j’adore la soupe à l’oignon, c’est d’abord bien sûr qu’elle est un repas délicieux, mais son véritable atout est la versatilité des restants. La soupe à l’oignon constitue un délicieux liquide de braisage pour une pièce de viande comme un rôti de palette ou une épaule de porc. Et une fois effilochés, les restes de ce repas de viande forment la plus excellente garniture pour des pâtes aux oeufs fraîches ou des gnocchis.

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Histoire

La soupe à l’oignon, d’origine très modeste, est une des soupes les plus anciennes du répertoire français. Elle compte parmi les plats réellement emblématiques, intemporels et populaires de cette cuisine. J’irais même jusqu’à dire que par la simplicité de ses ingrédients en regard de la complexité de ses arômes et de ses saveurs, elle incarne à elle seule tout le génie de la cuisine française. Du point de vue québécois, c’est également la seule soupe, voire même le seul plat, de notre répertoire ancien qui nous unit toujours à l’Hexagone, car elle est toujours préparée de manière identique des deux côtés de l’Atlantique et contrairement à beaucoup de nos autres recettes, elle n’a pas été éclipsée dans la Métropole par la Révolution. C’est aussi la seule soupe du répertoire français à rappeler l’origine étymologique de ce mot. En effet, à l’origine, le terme « soupe » (du latin tardif suppa) renvoyait à une tranche de pain rassit placée au fond d’un bol sur laquelle on versait un bouillon ou un potage chaud. Avec le temps et par métonymie, le mot a fini par ne désigner que le potage sans ses croûtes.

La soupe à l’oignon est présente sous une forme ou une autre dans la majorité des cuisines du pourtour méditerrannéen et elle remonterait à l’Antiquité. Elle était consommée en Égypte pharaonique, tandis qu’à Rome, la haute société la surnommait « la soupe des pauvres » à cause de sa simplicité de préparation et l’insignifiance de ses ingrédients.

Dans sa version actuelle la plus répandue, la soupe à l’oignon est composée d’une base d’oignons caramélisés mouillés de bouillon, d’eau de vin ou de bière et servi avec des croûtons. Dans certaines versions les croûtons sont mijotés dans la soupe pour l’épaissir, dans d’autre ils sont servis à côté. D’autres versions encore incluent du lait avec les liquides.

Les oignons caramélisés, voire brûlés, forment également la base aromatique de plusieurs plats indo-européens et moyen-orientaux (p. ex. le moujaddarah et le sayadiyé libanais ou les caris du nord de l’Inde).

La soupe à l’oignon est donc avec nous au moins depuis l’ère gauloise. Par sa simplicité de préparation, du peu d’éléments qui la composent et de la bonne capacité de conservation de son ingrédient principal, nos ancêtres l’ont donc amenée avec eux en Nouvelle-France (voir « La soupe à l’oignon au croûton fromagé » sur Le Québec cuisine). On la consomme alors sans doute depuis au moins aussi longtemps que notre soupe aux pois, même si cette dernière est plus emblématique pour nous.

Malgré son ancienneté dans notre cuisine, la soupe à l’oignon a généralement gardé un profil bas, car sa vertu principale est de combattre la gueule de bois. Pour cette raison, elle est d’ailleurs connue également sous le nom peu flatteur de « soupe à l’ivrogne ». Pourtant, elle a connu son heure de gloire simultanément des deux côtés de l’Atlantique vers le milieu du XVIIIe s. juste avant notre passage aux mains des anglais. À cette époque, elle aurait constitué un plat prestigieux. Stanislas Leszczynski, roi de Pologne et beau-père du roi de France Louis XV en aurait fait la découverte en 1749 pendant l’un de ses arrêts annuels dans une auberge champenoise et l’aurait par la suite répandue dans le tout Versailles. La même année, Marie-Élisabeth Rocbert de la Morandière (dite Élisabeth Bégon), écrivaine et membre de la noblesse montréalaise, mentionne dans ses lettres aller en consommer le soir après le bal. Elle écrit:

Il y a eu de belles souleries hier chez M. de Lantagnac. Tous furent comme on me l’avait dit, cher fils, danser un menuet avec peine; puis, il fut conclu qu’on irait chez Deschambault manger la soupe à l’oignon. Il y fut bu encore beaucoup de vin, surtout cinq bouteilles entre M. de Noyan et St Luc qui, comme tu penses, restèrent sur place. On mit Noyan dans une carriole en paquet et on l’amena chez lui. Les autres se retirèrent chacun chez eux.

C’est Mme Varin qui m’a conté cela en dînant, étant venue dîner avec nous, son mari ayant été chez M. Martel dîner avec MM. de Longueuil et Lantagnac. Martel fait aujourd’hui le petit seigneur. Si tu pouvais, cher fils, voir ce qui se passe au travers de quelques nuiages, tu rirais.

Adieu, en voilà assez. J’ai grand mal à la tête et n’ai rien de joli à te dire que ces folies.

« Lettre du 21 janvier 1749 », Correspondance de Mme Bégon, Rapport de l’archiviste de la province de Québec, 1934-1935 pp. 29-30.

Reléguée de nouveau aux lendemains de veille après le régime français, la soupe à l’oignon connut une seconde heure de gloire dans les années 1960 après l’immigration massive des chefs cuisiniers français en préparation de l’Expo 67 et des Jeux Olympiques de Montréal. Sa popularité ne tarit pas depuis et elle figure toujours au menu d’un bon nombre de restaurants québécois.

À Paris, elle a plutôt atteint le statut d’emblème culturel au XIXe s. grâce aux établissements de restauration des Halles qui servaient les travailleurs de nuit du marcher et qui leur préparaient ce plat à la fois rassasiant et bon marché.

Pour faire un lien avec l’Auvergne de mes ancêtres paternels, il existe dans cette cuisine une soupe quasi identique nommée soupe au fromage qui est composée des mêmes éléments à la différence que les oignons ne sont pas brunis. Cela dit, l’influence auvergnate sur la culture québécoise n’est pas simple à démontrer du fait de sa contribution relativement modeste à l’apport de colons même si personnellement, je trouve cette cuisine très semblable à la nôtre.

On peut maintenant passer à la recette.

La recette

Soupe à l’oignon

Pour 8 à 10 personnes - Préparation : 10 min. - Cuisson : 2 h

Ingrédients

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Pour la soupe

  • 6 gros oignons jaunes ;
  • 3 c. à soupe de beurre ;
  • 2 feuilles de laurier ;
  • Un peu de thym ou de romarin frais (1-2 branches) ou séché (½ c. à thé) ;
  • 1 c. à soupe de farine tout usage ;
  • 2 verres de vin rouge ou 1 bouteille (355 ml) de bière brune (genre Guinness), facultatif ;
  • 2 ℓ de bouillon de bœuf, de poulet ou d’eau ;
  • Sel et poivre du moulin, au goût. PSX_20240329_175040.jpg

Pour les croûtons

  • 1 pain baguette (ou tout autre type de pain), rassit ;
  • 2 t. de Gruyère, d’Emmenthal ou de fromage de votre choix (aujourd’hui, j’ai utilisé du Blackburn et du Migneron de Charlevoix). PSX_20240329_175005.jpg

Préparation

  1. Dans une grande marmite, faites chauffer l’huile ou le beurre à feu moyen-vif.
  2. Pendant ce temps, pelez et émincez grossièrement les oignons dans le sens des fibres (longueur). Pour sauver du temps, ajoutez-les au gras chaud au fur et à mesure.
  3. Faites revenir les oignons avec une bonne pincée de sel, en remuant de temps à autre, jusqu’à ce qu’ils caramélisent et soient d’un beau brun-doré presque noir et uniforme, environ 45 min. Ne vous inquiétez pas s’ils collent un peu au fond de la casserole. Veillez seulement à ne pas les faire brûler. PSX_20240329_174829.jpg
  4. Vers la fin de la cuisson des oignons (5 min. avant), ajoutez le laurier et le thym, puis faites revenir. Saupoudrez de farine et laissez revenir quelques minutes en remuant pour faire un roux brun.
  5. Déglacez avec la bière en détachant les sucs au fond de la casserole avec une cuillère de bois. Ajoutez le bouillon ou l’eau. Portez à ébullition et faites mijoter 1 h ou 2 à feu doux. Ajustez l’assaisonnement en fin de cuisson. PSX_20240329_174919.jpg
  6. 10 min. avant de servir la soupe, râpez le fromage et tranchez la baguette. Placez les croûtons de pain en une seule couche sur une grande plaque à biscuit. Passez-les sous le grill jusqu’à qu’ils soient dorés. Sortez-les du four, retournez-les, saupoudrez le fromage sur la surface non grillée et repassez-les sous le grill pour bien gratiner le fromage. PSX_20240329_175120.jpg
  7. Pour servir, placez 1 ou 2 croûtons par personne dans le fond d’un bol ou d’une assiette creuse, puis versez la soupe brûlante par-dessus. Alternativement, vous pouvez verser la soupe dans des caquelons individuels, les couronner d’un croûton grillé puis de fromage râpé et les faire gratiner juste avant de servir. Vous pouvez aussi omettre les croûtons et le fromage. PSX_20240329_175227.jpg

Notes

Dans la tradition française, il est pratique courante d’enrichir cette soupe avec un peu de Cognac ou quelques jaunes d’œufs battus juste avant le service.

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Bon appétit!