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Sommaire

La fois où Papa a cuisiné

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un classique de la cuisine sino-québécoise, ce que dans ma famille on appelle des nouilles chinoises, mais que plusieurs appellent également macaronis chinois. C’était un plat qui faisait toujours des heureux chez nous. Ma sœur et moi en raffolions. Dans énormément de familles, il est très courant de préparer ce plat avec de la viande hachée, soit du bœuf ou du porc, mais chez nous, nous le faisions systématiquement avec des restants de poulet.

Comme vous le savez déjà, chez nous, la corvée de cuisine échouait toujours à Maman puisqu’elle était femme au foyer et que Papa travaillait pratiquement 24 h par jour, sept jours sur sept. Cependant, il est arrivé une fois où Maman, ma sœur et moi devions nous absenter en fin d’après-midi et en début de soirée pour je ne me souviens plus quelle raison. C’était peut-être quelque chose comme un rendez-vous chez le dentiste après l’école. Je devais avoir entre 8 ou 10 ans.

Quoi qu’il en soit, cette soirée-là, la corvée du souper s’est retrouvée entre les mains de Papa. Maman avait coupé le poulet, l’oignon et le céleri. Il ne restait plus à Papa qu’à tout faire cuire. Le repas c’était donc des nouilles chinoises au poulet. Ce soir-là, on a mangé pour l’une des seules fois, un plat préparé par Papa! C’était tout un événement. Je ne sais pas si c’est à cause de l’exceptionnalité de la choses, mais tout le monde a été unanime : les nouilles chinoises de Papa étaient meilleures que celles de Maman.

Elles avaient un petit quelque chose que personne n’a été capable d’identifier qui leur donnait un oumpf absent de la recette de Maman. Après de longues minutes d’interrogatoire quasi-policier de la part de tout le monde, Papa a craqué et il nous a livré son secret. Fidèle à la méthode de sa mère, que nous appelons Maman Lucie, en plus d’assaisonner le plat avec de la sauce soya, il utilisait également du concentré de bouillon de bœuf (dont la marque la plus connue est Bovril) et que ma grand-mère, comme le font les gens de sa génération, appelle du « thé de bœuf ».

Depuis ce jour, je mets toujours du Bovril dans mes nouilles chinoises, pratique qu’a copié aussi mon mari, quand c’est lui qui les préparent.

Histoire de la recette

Le macaroni chinois ou les nouilles chinoises constituent un plat unique de la cuisine sino-québécoise. À l’extérieur du Québec, ils n’existent pas. Ailleurs en Amérique du Nord, il est plus courant de les faire avec des nouilles longues et minces, plus fidèles à la préparation traditionnelle cantonaise.

Le plat est arrivé au Québec à peu près en même temps que le chop suey, c’est-à-dire dans les premières décennies du XXe s. Il est préparé avec des macaronis, car elles sont traditionnellement les pâtes les plus courantes et les plus universellement disponibles. Les pâtes longues sont arrivés plus tard avec l’immigration italienne de masse. La première mention d’un apprêt de nouilles « à l’orientale » dans la littérature québécoise semble être dans le numéro d’octobre 1930 de la revue montréalaise La Revue moderne (voir p. 47). Il faut attendre vendredi le 13 décembre 1935 dans le journal Le Droit pour voir la première mention textuelle de « nouilles chinoises » vendues par une épicerie-boucherie de la rue Papineau à Hull (voir p. 5).

Si on se fie à la façon la plus courante de les préparer, c’est-à-dire sans faire frire les nouilles avec leur garniture, il semble que le plat trouve son origine dans le classique cantonnais du nom de 撈麵 (lo mien ou « nouilles mélangées »). Dans sa plus simple expression, le lo mien moderne authentique ne comporte que des nouilles, de la sauce d’huîtres, de la sauce soya et de l’huile. Comme la sauce d’huîtres n’existait pas de ce côté du monde à l’arrivée des premiers immigrants chinois, ils ont donc utilisé davantage de sauce soya. De même avant l’ouverture de la première manufacture de nouilles chinoises Wing à Montréal, ils ont dû utiliser les macaronis en guise de nouilles. Ils ont servi ce plat tel quel dans leurs restaurants. La recette est restée figée depuis. Les Québécois ayant adopté ce goût massivement et le reproduisant à la maison couramment.

Compte tenu de l’information au paragraphe précédent, il est important de noter que la sauce d’huîtres est un ingrédient relativement récent même en Chine. Il a été inventé seulement vers 1870. Il est donc probable que les nouilles chinoises sino-québécoises d’aujourd’hui témoignent d’une époque où les immigrants chinois arrivés ici ne connaissaient eux-mêmes peut-être pas la sauce d’huîtres.

Dans mes recherches, j’ai également trouvé un article sur un orphelinat de filles à Hong Kong géré par les Sœurs missionnaires de l’Immaculée-Conception publié dans leur bulletin, Le Précurseur (voir p. 232). On y retrouve des gravures montrant la fabrication chinoise traditionnelle des nouilles de blé par les filles de l’orphelinat. Cette publication n’est pas sans rappeler que nos grands-parents et arrières-grands-parents ont souvent parrainé des orphelins chinois par le biais de leur école élémentaire et l’ordre religieux qui en était chargé. C’est peut-être une autre des nombreuses raisons pour lesquelles la cuisine chinoise occupe une place aussi importante dans la culture populaire d’ici.

Quoi qu’il en soit, passons maintenant à la recette!

La recette

Nouilles chinoises ou macaroni chinois

Pour 4 personnes - Préparation : 10 min. - Cuisson : 10 min.

Ingrédients

  • 1 bte (500 g) de macaronis coupés (ou vos pâtes courtes préférées) ;
  • 1 oignon jaune, haché ;
  • 1 branche de céleri tranchée ;
  • 2 t. de restants de poulet cuit, en dés (ou 500 g de viande hachée) ;
  • 2 c. à soupe d’huile végétale ;
  • 1 c. à soupe de sauce soya foncée (style VH) ;
  • 1 c. à thé de concentré de bouillon de bœuf (votre marque préférée parmi : Bovril, Knorr, etc.) ; Sel et poivre au goût.

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Préparation

  1. Préparez une grande marmite d’eau pour faire cuire les macaronis. Portez-la à ébullition à feu vif.
  2. Pendant ce temps, épluchez l’oignon, lavez la branche de céleri, coupez-les ainsi que le poulet (si c’est ce que vous utilisez.
  3. Lorsque l’eau bout, faites cuire les macaronis selon les instructions sur la boîte.
  4. Dans une casserole moyenne, faites chauffer l’huile végétale à feu vif, faites-y revenir l’oignon et le céleri avec une pincée de poivre et de sel, jusqu’à ce qu’ils soient à peine cuits et encore légèrement croquant. Ajoutez le poulet, puis assaisonnez le tout avec le concentré de bouillon de bœuf. Bien sûr, si vous utilisez plutôt de la viande hachée ou du poulet crus, faites cuire celle-ci complètement au préalable avant d’ajouter les oignons et le céleri. Quand la garniture est terminée, réservez.
  5. Lorsque le macaroni est cuit, égouttez-le et retournez-le dans la marmite. Incorporez la garniture de viande et de légumes. Assaisonnez généreusement de sauce soya tout en brassant jusqu’à ce que les macaronis soient de la couleur que vous préférez et que le tout soit suffisamment goûteux.
  6. Servez sans attendre.

Notes

Ça, c’est la recette familiale de base. Vous pouvez bien sûr laisser libre court à votre imagination en y mettant le mélange de légumes qui vous plaît (p. ex. de l’ail, des poivrons colorés coupés en losanges, des carottes en juliennes ou en fleurs, des petits bouquets de brocoli ou de chou-fleur, etc.). Vous pouvez aussi varier la méthode de préparation, surtout si vous avez un grand wok, en faisant sauter les nouilles cuites avec la garniture. Il est aussi possible de garnir le plat terminé d’oignons verts finement ciselés et d’un filet d’huile de sésame.

Bon appétit!