Soupe aux gourganes
Sommaire
- Emblème du Saguenay–Lac-Saint-Jean
- Particularités
- La gourgane aujourd’hui
- Histoire de la recette
- La recette
Emblème du Saguenay–Lac-Saint-Jean
Comme vous le savez, je suis allé faire un petit tour dans mon cher Pays des Bleuets pendant mes vacances du mois d’août. Quand j’y étais, c’était en plein la saison d’une légumineuse qu’on appelle localement la « gourgane » (la saison s’étend de la fin juillet à la fin août). Avec cette gourgane on prépare l’un de mes plats favoris : la soupe aux gourganes.
Pour moi, plus encore que le bleuet, cette savoureuse légumineuse est un véritable monument culinaire régional. Ailleurs on l’appelle fève maraîchère, fève des marais ou simplement fève. Les Anglais l’appellent fava bean et les Arabes foul.
À elle seule, elle représente en quelques sortes tout notre héritage culturel français médiéval. Elle n’est par contre pas cultivée seulement dans la région d’où je viens, mais dans la majeure partie du Nord-Est du Québec, à partir de la Côte-de-Beaupré jusqu’à la Haute-Côte-Nord. À l’extérieur de cet espace géographique, la gourgane est pratiquement inconnue du reste de l’Amérique du Nord, tant anglophone que francophone et même hispanophone. C’est qu’elle aime les climats frais, elle ne pousse tout simplement pas bien au Sud. À part nous, les seuls au Québec desquels la gourgane fait partie du garde-manger régulier sont les immigrants du Moyen-Orient, notamment les Libanais et les Syriens (quand je vous disais que nos cuisines avaient beaucoup de points communs!).
Comme je le disais, la gourgane est le symbole de nos origines française. Elle est consommé ici depuis les débuts de la Nouvelle-France, car elle faisait partie des plantes cultivées par les Français depuis au moins l’époque de Charlemagne. Ce dernier l’a imposée aux paysans par décret pour combattre les famines récurrentes dans ce temps-là. Elle compte, donc parmi les plantes pionnières françaises importées d’Europe avec le pois jaune.
Particularités
Contrairement aux variétés disponibles à l’année dans les supermarchés orientaux des grandes villes qui sont à grosses graines, les variétés de gourganes que l’on fait pousser au Québec donnent de petites graines. Généralement, nous les consommons fraîches plutôt que sèches et nous avons plus tendance à les faire surgeler qu’à les sécher pour les conserver.
La tradition jeannoise veut que dès que la saison est commencée et que les gourganes sont disponibles des producteurs maraîchers, chaque famille achète un immense sac de 10 à 15 kg et s’installe mère et enfants sur la galerie pour les écosser. On en garde assez pour faire une soupe la journée même et le reste sera lavé puis mis au congélateur.
La cuisine de Nouvelle-France comprenait plusieurs recettes à base de gourganes. Avec les fèves fraîches, on en faisait des soupes, des ragoûts, des fricassées et des salades. Tandis qu’avec les fèves sèches, on préparait des galettes et des gruaux. La seule recette qui a survécu à l’histoire est la soupe aux gourganes qui a son propre festival à Albanel au Lac-Saint-Jean et qui est l’objet de la recette d’aujourd’hui.
La gourgane aujourd’hui
En France de nos jour, depuis la Révolution, elle est pratiquement oublié et ne sert guère, sous le nom de « féverole », qu’à alimenter le bétail.
Ici, au contraire, les gouvernements et les producteurs tentent de la promouvoir. Elle fait l’objet de transformations industrielles (voir cet article dans Le Quotidien) et de recherches scientifiques (voir ce document d’Agrinova ou encore celui-ci d’Agriculture et Agroalimentaire Canada). Espérons que dans les années à venir, ces efforts de promotion porteront fruit!
Histoire de la recette
Désolé de m’étendre en long et en large, mais la gourgane est un sujet important et fascinant. Donc la recette d’aujourd’hui est la soupe aux gourganes. Cette soupe, avec la soupe aux pois, compte parmi les soupes québécoises les plus anciennes et est une des rares recettes qui remontent à 1608.
La gourgane elle-même, Vicia faba de son nom scientifique, est une légumineuse extrêmement ancienne qui a été domestiquée par l’homme depuis au moins 7000 ans. Elle est tellement vieille en fait, qu’on ne connaît pas sa parente sauvage : elle n’existe plus. Elle serait originaire du Caucase ou des alentours de la mer Caspienne et se serait répandue autour de la Méditerranée et en Asie au gré des migrations des premiers peuples indo-européens.
N’ayez, crainte, je ne ferai pas l’historique de nos soupes de légumineuses ici puisque j’ai déjà assez parlé de la gourgane dans les paragraphes ci-dessus, mais sachez que c’est un plat important. Tel qu’expliqué plus haut, c’est un plat de fin d’été, une soupe-repas copieuse, qui servait à fournir aux habitants l’énergie nécessaire à la moisson.
Il existe plusieurs versions de cette soupe. En fait, chaque famille a sa recette. En règle générale, elle est constituée d’un bouillon de bœuf, de lard salé (ou les deux) ou d’un bouillon de légumes, dans lequel les gourganes sont accompagnées d’une brunoise (des dés) de légumes (le plus souvent des carottes du céleri et du « siam » ou des rabioles), d’une chiffonnade de légumes-feuilles (des épinards, des bettes à carde, des fanes de carottes ou de la poulette grasse), puis la protéine apportée par la gourgane est complétée par l’ajout d’une céréale (de l’orge, de l’avoine, du riz ou des nouilles telles que le riz de pâte). Dans ma famille, on la fait à l’orge (qu’on appelle chez nous par son nom anglais : le barley).
Voici donc la recette!
La recette
Soupe aux gourganes
Pour 8 à 10 personnes - Préparation : 30 min. - Cuisson : 4 h
Ingrédients
- 4 l d’eau ;
- 125 g de lard salé, entrelardé ;
- 500 g de jarret de bœuf ;
- Vos aromates préférée pour un bouillon, par exemple :
- 1 oignon,
- 1 branche de céleri,
- 1 carotte,
- 1 gousse d’ail,
- 1 feuille de laurier,
- 1 bouquet de sarriette ou de thym ;
- 1-2 c. à soupe d’herbes salées, au goût ;
- ⅓ t. d’orge mondé ;
- 1 l de gourganes fraîches écossées ;
- 1 poignée des plus petites cosses de gourganes, tranchées (celles qui sont trop petites pour avoir des gourganes de bonne taille à l’intérieur) ;
- 1 t. de brunoise de légumes variés (1 carotte, 1 branche de céleri, 1 tranche de rutabaga ou une rabiole) ;
- 1 t. de légumes-feuilles ciselés finement (épinards ou bette à carde, moi j’ai mis de la poulette grasse) ;
- Poivre noir moulu, au goût.
Préparation
- Mettez l’eau, le lard salé, le jarret de boeuf, les aromates et les herbes salées dans une grande marmite. Portez à ébullition à feu vif, puis laissez mijoter 2 à 3 heures à feu doux à découvert jusqu’à ce que la viande se défasse presque toute seule. Filtrez le bouillon et retournez-le dans la marmite. Réservez le lard et les jarrets.
- Portez le bouillon à ébullition de nouveau. Ajoutez l’orge et faites-le cuire au moins 45 min. ou jusqu’à ce qu’il commence à attendrir. Ajoutez les gourganes (fèves et cosses) ainsi que la brunoise de légumes. Faites mijoter un autre 30 à 45 min. ou jusqu’à ce que gourganes soient tendres (la soupe prendra une teinte grisâtre).
- Effilochez la viande du lard salé et du jarret de boeuf que vous retournerez dans la soupe. Terminez la soupe en ajoutant les légumes-feuilles et faites mijoter quelques minutes de plus. Poivrez et rectifiez l’assaisonnement.
- Servez dans des assiettes creuses avec du pain de ménage frais et du beurre.
Notes
Tel que mentionné plus haut, vous pouvez préparer le bouillon que vous voulez afin de faire cette soupe. Si vous préférez le bouillon de poulet ou le bouillon de légume : lâchez-vous lousse! Si vous utilisez du bouillon de légumes, je vous suggérerais d’enrichir la soupe en faisant revenir la brunoise dans une bonne quantité (au moins ⅓ t.) d’huile d’olive à feu moyen, question d’ajouter de la saveur et de conserver les propriétés caloriques de la version carnée de la soupe (j’ai d’ailleurs une recette ancienne et végé de cette soupe d’une de mes arrières-grands-mères maternelles que je partagerai sans doute un jour avec vous).
À l’extérieur du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la région de la Capitale-Nationale (Québec, Charlevoix, etc.) la gourgane fraîche ou congelée peut être extrêmement difficile à trouver si vous n’avez pas de supermarché oriental ou méditerranéen près de chez vous. Cela dit, si vous avez un grand marché d’alimentation avec une section internationale, vous pourrez facilement trouver des gourganes séchées avec les légumineuses ou les produits du Moyen-Orient. Pour faire la soupe avec des gourganes séchées, utilisez 2 t. de gourganes séchées que vous ferez tremper au préalable de 24 à 48 h en changeant l’eau au moins toutes les 12 h. Faites précuire les gourganes dans au moins le triple de leur volume d’eau salée pendant environ 2 h ou jusqu’à ce qu’elles soient tendres, mais encore légèrement al dente. Égouttez-les et enlevez la coriace pelure brune qui les recouvre. Ajoutez-les à la soupe après l’orge mondé comme les gourganes fraîches et poursuivez avec la recette. La saveur de la soupe préparée avec les gourganes séchées sera plus corsée et sa couleur plus foncée.
Certains grands supermarchés à l’extérieur du Nord-Est du Québec (Adonis et Métro) ont également des gourganes fraîches congelées. Cela dit, la plupart du temps, ce sont des gourganes d’Espagne, du Portugal ou d’Égypte. Elles sont souvent pelées et les deux moitiés des fèves sont donc séparées. C’est quand même un bon produit, vous pouvez les utiliser pour faire cette recette de la même manière que les gourganes fraîches, mais gardez en tête que la soupe sera plus claire.
Dernière petite chose si vous utilisez des gourganes congelées ou séchées : ajoutez quelques haricots verts frais tranchés pour pallier à l’absence des petites cosses de gourganes fraîches.