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Sommaire

C’est comme de l’or

Aujourd’hui, c’est la fête de la Sainte-Catherine. J’ai des souvenirs assez vifs des 25 novembre chez nous quand Mamie habitait avec nous. À cette date, elle préparait immanquablement ces bonbons à la mélasse nommés « tire Sainte-Catherine ». Elle faisait fondre le sucre dans son grand chaudron et le testait jusqu’à ce qu’il ait atteint le bon degré de cuisson. Pour ce faire, elle allait dehors chercher de la neige propre (oui il y avait souvent déjà de la neige dehors au Lac-Saint-Jean à cette époque) qu’elle mettait dans un bol pour faire refroidir le sirop. Elle le versait ensuite dans une lèchefrite beurrée. Elle nous demandait alors toujours à maman et moi de venir l’aider à l’étirer. J’adorais cette activité. J’avais mon petit bout de sucre que j’étirais. C’était fascinant pour moi de voir la mixture passer du brun foncé, au brun clair, puis blondir pour finalement ressembler à de l’or. À mes yeux, c’était carrément de l’alchimie! À ce moment-là, Mamie reprenait son butin et façonnait de longs cylindres de l’épaisseur d’un doigt qu’elle coupait en bonbons avec sa grosse paire de ciseaux. Enfin, on enveloppait chaque bonbon dans un petit carré de papier ciré pour le conserver et éviter qu’il ne colle aux autres.

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Histoire de la recette

Le nom de la tire Sainte-Catherine

Commençons d’abord avec le nom de cette confiserie : pourquoi l’appelle-t-on « tire »? Le nom vient de l’expression « sucre tiré » qui est une discipline de la confiserie française. Elle se réfère à l’action d’étirer le sirop de sucre tempéré pour le transformer en bonbon.

Catherine d’Alexandrie

La sainte que l’on fête le 25 novembre est Catherine d’Alexandrie. Une martyre vierge chrétienne qui aurait vécu au début du IVe s. Elle n’avait que 18 ans lors de sa mort par torture sous les ordre de l’empereur romain Maximin II Daïa. Elle était reconnue pour son intelligence et sa grande aptitude au débat. Dans la tradition catholique, elle est la sainte patronne des écoles de filles et des élèves de philosophie.

La Sainte-Catherine

Historiquement, au Québec, la Sainte-Catherine est une journée assez importante, culinairement parlant. Même si plus personne ne la célèbre aujourd’hui, elle marquait jadis la dernière occasion de faire gras avant le début de l’Avent. C’est pourquoi il est coutume d’y fabriquer des confiseries. C’est aussi le moment où les ménagères commençaient les préparatifs en vue des célébrations de Noël et du Jour de l’An. La fête est aussi connue comme étant la fête des vieilles filles et c’était l’occasion pour toutes les femmes célibataires de plus de 25 ans de démontrer leurs talents culinaires. C’était donc également une période propice pour la célébration des mariages.

Une tradition problématique?

Pour revenir à la confiserie, la plus importante tradition culinaire québécoise reliée à cette fête est celle de la fabrication de la friandise qui nous intéresse. Il était d’usage pour nos grand-mères de la fabriquer à l’école sous la supervision de l’institutrice à l’image des sœurs catholiques à l’époque du régime français. Dans le contexte actuel, on pourrait considérer cette tradition comme controversée.

Là où je veux en venir, c’est que la tradition nous viendrait, selon la légende, tout droit de l’époque de la Nouvelle-France. Ce serait Marguerite Bourgeoys qui aurait été la première à la préparer après son arrivée à Montréal en 1653. On n’a pas de date exacte de l’événement : en fait, on n’a aucune trace écrite des origines de cette tradition. Fondatrice de la première école de la colonie de Ville-Marie, elle aurait fabriqué cette confiserie dans le but d’y attirer les jeunes filles des alentours pour les y instruire. C’est à partir d’ici que l’innocence de la chose se gâte. Madame Bourgeoys étant investie d’une mission évangélique beaucoup plus que pédagogique, les friandises auraient également eu pour but d’attirer les enfants des tribus autochtones de la région montréalaise pour les convertir au christianisme et plus largement de les acculturer.

Marguerite Bourgeoys

Marguerite Bourgeoys, dite du Saint-Sacrement, de son nom de consécration, est un personnage important dans l’histoire québécoise. Elle a participé à la pérennisation de Ville-Marie (l’actuelle Montréal) après sa fondation par Paul de Chomedey de Maisonneuve. Elle est la première enseignante de Montréal et la fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, premier ordre religieux féminin non-cloîtré d’Amérique du Nord. Elle œuvré toute sa vie à l’éducation, l’évangélisation et la promotion sociale des filles de Nouvelle-France sans égard à leur provenance ou leur statut.

Qu’en est-il?

Sans verser davantage dans les éléments controversés de cette tradition, tout ce dont on dispose pour attribuer l’invention de la tire à Marguerite Bourgeoys, selon Michel Lambert, c’est qu’elle était originaire de Troyes en Champagne, une région reconnue à l’époque pour son sucre d’orge (voir « La Tire Sainte-Catherine et la tire éponge » sur Le Québec cuisine). Pour sa part, Jean-Marie Francoeur, est d’avis que les communautés religieuses de France à l’époque étaient particulièrement reconnues dans le domaine de la confiserie (voir Genèse, pp. 391 et 408). Comme le seul véhicule de cette histoire est la tradition orale de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, on n’en saura probablement jamais plus là-dessus. Je vous laisse le soin de juger si la légende est vraie ou fausse.

Il reste que la tire est dans notre patrimoine culinaire depuis longtemps et était suffisamment répandue pour que Louis Hémon en relate longuement la fabrication dans son roman Maria Chapdelaine paru en 1913:

Le jour de l’an n’amena aucun visiteur. Vers le soir, la mère Chapdelaine, un peu déçue, cacha sa mélancolie sous la guise d’une gaieté exagérée.

– Quand même il ne viendrait personne, dit-elle, ce n’est pas une raison pour nous laisser pâtir. Nous allons faire de la tire.

Les enfants poussèrent des cris de joie et suivirent des yeux les préparatifs avec un intérêt passionné. Du sirop de sucre et de la cassonade furent mélangés et mis à cuire ; quand la cuisson fut suffisamment avancée, Télesphore rapporta du dehors un grand plat d’étain rempli de belle neige blanche. Tout le monde se rassembla autour de la table, pendant que la mère Chapdelaine laissait tomber le sirop en ébullition goutte à goutte sur la neige, où il se figeait à mesure en éclaboussures sucrées, délicieusement froides.

Chacun fut servi à son tour, les grandes personnes imitant plaisamment l’avidité gourmande des petits ; mais la distribution fut arrêtée bientôt, sagement, afin de réserver un bon accueil à la vraie tire, dont la confection ne faisait que commencer. Car il fallait parachever la cuisson, et, une fois la pâte prête, l’étirer longuement pendant qu’elle durcissait. Les fortes mains grasses de la mère Chapdelaine manièrent cinq minutes durant l’écheveau succulent qu’elles allongeaient et repliaient sans cesse ; peu à peu leur mouvement se fit plus lent, puis une dernière fois la pâte fut étirée à la grosseur du doigt et coupée avec des ciseaux, à grand effort, car elle était déjà dure. La tire était faite. (ch. X)

Étant donné l’importance historique du commerce triangulaire avec les Antilles qui nous ont fournit en sucre dès nos premiers balbutiements, il est tout de même plausible que cette sucrerie ait fait partie de notre ordinaire dès le XVIIIe s. Surtout considérant que, tel qu’on l’a vu, le sucre à la crème date lui-même de cette époque.

Sans plus tarder, passons maintenant à la recette.

La recette

Tire Sainte-Catherine

Une recette de Mamie

Donne env. 64 bonbons - Préparation : 15 min. - Cuisson : 7-8 min.

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Ingrédients

  • ½ t. de sucre blanc ;
  • ½ t. de cassonade ;
  • ½ t. de mélasse ;
  • 1½ c. à thé de vinaigre ;
  • ¼ t. d’eau ;
  • 2 c. à thé de beurre ;
  • ½ c. à thé de bicarbonate de soude.

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Préparation

  1. Dans une casserole de grandeur convenable, versez tous les ingrédients sauf le bicarbonate de soude. Beurrez le haut du récipient. Brassez pour faire fondre le sucre, puis faites bouillir à feu modéré, mais sans agiter. Faites cuire jusqu’à 265°F (129°C, stade du gros boulé) au thermomètre à confiserie ou jusqu’à qu’une goutte du mélange forme une boule dans l’eau froide.
  2. Éteindre le feu, ajoutez le bicarbonate de soude et brassez à la cuillère de bois juste assez pour bien incorporer. Versez la préparation dans une grande lèchefrite bien beurrée et laissez-la refroidir env. 10 min. ou jusqu’à ce que vous puissiez la manipuler à mains nues sans vous brûler.
  3. Avec vos mains bien beurrées, étirez la préparation le plus possible sans qu’elle ne casse et repliez-la sur elle-même en effectuant un mouvement de torsion. Répétez jusqu’à ce que la tire ait une belle couleur dorée pâle. PSX_20211125_191353.jpg
  4. Roulez la tire en un long cylindre de l’épaisseur d’un doigt, puis coupez-la en bonbons individuels avec une paire de ciseaux bien beurrée. À ce stade-ci, dépêchez-vous, car la tire va se durcir rapidement. Enveloppez les tires Sainte-Catherine dans des morceaux de papier ciré et conservez-les à température ambiante dans un contenant de métal ou de plastique. PSX_20211125_191429.jpg

Notes

La recette ci-dessus, puisqu’elle ne contient pas de sirop de maïs et qu’elle cuite au stade du gros boulé, fait de la tire traditionnelle dure. Elle s’apparente plus en texture au sucre d’orge qu’aux caramels mous auxquels on est plus habitués de nos jours. Vous pouvez tenter de la cuire plutôt au stade du boulé à 250°F (120°C) pour obtenir un bonbon moins dur.

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Bon appétit!