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Sommaire

Introduction

Fort de mon voyage récent vers la région là d’où je viens, j’ai envie de vous parler un peu des bases historiques de la cuisine du coin de pays qui m’a vu naître.

Mon pays

Mon pays, c’est le Lac-Saint-Jean. Cette merveilleuse plaine fertile entourant le majestueux lac, grand comme une mer intérieure. Beaucoup de gens d’ailleurs au Québec ne savent pas faire la différence entre le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. C’est que depuis la création des régions administratives par le gouvernement québécois en 1966, ces deux entités historiquement distinctes ne forment qu’un sous l’appellation Saguenay–Lac-Saint-Jean (remarquez le tiret demi-cadratin entre les deux entités). Pourtant, à part la tourtière et les gourganes, les partages culturels entre les deux régions sont assez récents. Les deux n’ont pas la même date de fondation. Les deux n’ont pas la même économie. Les deux n’ont pas la même population. Les deux n’ont pas le même accent.

Le Lac-Saint-Jean a été fondé en 1842 par l’établissement d’un groupe de colons originaires du Bas-Saint-Laurent et guidés par le curé Hébert. Le Saguenay, pour sa part, a été fondé en 1834 par la Société des Vingt-et-un arrivée de Charlevoix. Les premiers voulaient défricher et cultiver la terre, les seconds développer l’industrie forestière. Les premiers étaient d’ancêtre Français, Acadiens, Irlandais et Écossais, les seconds de Français et d’Écossais presque exclusivement. Les premiers parlent une langue monotone à la rythmique gaélisante truffée de consonnes gutturales, pas du tout dissimilaire à la langue brayonne, les seconds ont de longues voyelles et une tonalité chantante ponctuée de « là » à l’image de la langue charlevoisienne.

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Cuisine de survivance

Bien sûr, la cuisine du Lac-Saint-Jean partage beaucoup de points communs avec celle du Saguenay. La tourtière (ou cipâte, cipaille, etc.) étant dégustée sous ces autres appellations de part et d’autre à Charlevoix et au Bas-du-Fleuve et les bleuets étant une denrée omniprésente durant tout le mois d’août. Cela dit, elle a aussi ses caractéristiques propres.

D’abord son urbanisation est extrêmement récente et plusieur de ses plats traditionnels (disparus ailleurs au Québec) sont encore consommés aujourd’hui. Je vous ai donné il y a quelques mois d’excellents exemples de recettes de sa cuisine du printemps et du début de l’été avec la soupe au riz de pâte et les patates fricassées. Avant les premières récoltes maraîchères et avant le retour des animaux migrateurs, le Jeannois devait s’alimenter des « mauvaises » herbes et des restes de viandes salées du caveau et des dernières pêches d’hiver le plus souvent préparés en soupe. À cette période de l’année le bétail recommençait également à donner du lait que les habitants pouvaient consommer en abondance en guise de supplément protéiné (voir à cet effet la salade aux cailles) et lui fournir l’énergie requise pour le travail au champ qui ne faisait que commencer. Alors que l’hiver, il était facile avec le gel de conserver les fruits de sa chasse et de l’abattage de son bétail et l’accès à la viande était donc facilité. Tandis que les légumes et les fruits eux ont été transformés tout l’été et l’automne en diverses conserves et confitures qui devaient durer jusqu’à Pâques. Pour ces raisons la cuisine traditionnelle jeannoise est une cuisine souvent très calorique, riche en graisses et en protéines animales alors que les légumes sont rarement utilisés sous forme fraîche à part les radis, les laitues et les épinards. Le goût pour la viande des Jeannois est donc très prononcé, d’autant plus que la chasse y est aussi un sport populaire.

Les habitants du Lac-Saint-Jean ayant également pour ancêtres les Bas-Laurentiens qui eux sont souvent en partie Acadiens, Écossais ou Irlandais, on retrouve beaucoup de plats à base de pommes de terre dans la cuisine régionale. En plus des plats acadiens comme la fricassée (fricot), écossais comme les patates aux carottes et au siam (issus du neeps and tatties) ou irlandais comme le hachis et autres chiards, on y sert même la pomme de terre sous forme de dessert (voir les bonbons aux patates), pratique désormais très peu courante ailleurs au Québec. Les pommes de terres sont très nourrissantes et se conservent très longtemps au frais dans un caveau, comme le chou, les carottes et le rutabaga (encore appelé siam par les plus vieux).

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Puisque je viens d’effleurer les desserts, je vais continuer. En règle générale au Québec, nos ancêtres français n’avaient pas la dent très sucrée et n’excellaient vraiment pas dans la pâtisserie de haute voltige. C’est la même chose au Lac-Saint-Jean. Traditionnellement, nos plats sucrés d’origine française étaient servis au déjeuner et étaient constitués soit de pain trempé dans du lait, de la crème ou de la mélasse ou de bols de fruits frais arrosés de lait frais ou caillé assaisonné de cassonade. Le seul « vrai » dessert qui soit indubitablement français est la tarte au sucre. Ça ne fait pas beaucoup de desserts n’est-ce pas? Pourtant, nous en avons beaucoup d’autres. Dans la cuisine jeannoise, les desserts sont surtout d’origine britannique (via les ancêtres écossais) et américaine (via les descendants de ceux qui étaient partis travailler dans les manufactures de Nouvelle-Angleterre et sont revenus). Parmi les desserts les plus particuliers (ou du moins que je n’ai pas rencontré ailleurs), on compte ce que l’on appelle aujourd’hui des « trottoirs » (le plus souvent aux fraises, mais aussi aux autres petits fruits), mais que toutes les grands-mères appelaient jadis des slayes (de l’anglais slice terme désignant une famille de desserts composée de diverses tartes et gâteau minces cuits dans une grande plaque et coupés en carrés). On compte également diverses tartes aux fruits à deux croûtes, selon la tradition britannique, y compris la tarte aux raisins, faite de raisins secs.

L’industrie agro-alimentaire

C’est bien beau parler du passé, mais aujourd’hui, le Lac-Saint-Jean se distingue de plusieurs façons du Saguenay et du reste du Québec. Le domaine dans lequel il se distingue le plus est dans l’industrie agro-alimentaire.

Le Lac-Saint-Jean est l’une des rares régions québécoises où ce secteur économique joue un rôle fondamental. Les terres agricoles situées sur les berges du Piék8agami (nom ilnu du lac Saint-Jean) constituent l’un des greniers majeurs de tout le Québec. Elles sont même des fournisseures d’importance mondiale pour certaines denrées. Le Lac-Saint-Jean est en effet le plus grand transformateur et exportateur de bleuets sauvages dans le monde. Il en est de même pour la gourgane (ou fève maraîchère ou encore féverole) qui n’est cultivée presque nulle part ailleurs en Amérique du Nord. La recherche scientifique y est aussi un filon d’importance où des acteurs comme Nutrinor, Agroboréal tentent de développer une agriculture biologique, boréale durable en collaboration avec la Ferme expérimentale de Normandin. Il se démarque aussi avec ses légumes de serre disponibles partout au Québec, produits notamment par Toundra.

Le Lac-Saint-Jean ne se démarque pas que par les produits frais et peu transformés. Il fait aussi figure de chef de file québécois de certains produits de luxe. On trouve au Lac-Saint-Jean plus de microbrasseries et de fromageries par habitants que n’importe où ailleurs et ces produits fins sont tous prisés des connaisseurs et distribué bien au-delà des frontières régionales.

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Conclusion

Bien sûr il est impossible de décrire toute la scène alimentaire jeannoise dans un billet si court. Inspiré par mon récent voyage là d’où je viens je devrais bientôt partager avec vous d’autres recettes et des histoires de cette région. Avec celles qui se trouvent déjà sur La cuisine bleue, j’espère que vous aimez découvrir mon pays au gré de ces différentes recettes de là-bas que je publie.