PSX_20230701_144359.jpg La cathédrale orthodoxe antiochienne Saint-Élie d’Ottawa, lieu de culte principal des Libanais orthodoxe de Gatineau.

C’est la Fête du Canada; parlons d’autre chose.

Aujourd’hui, c’est le 1er juillet, la fête du Canada. Pour l’occasion, j’aimerais attirer l’attention sur un événement politique important du mois dernier qui est passé complètement inaperçu dans les médias locaux. Comme le soulignait le 26 juin dernier l’éminent journal libanais de langue française L’Orient le jour, le Parlement du Canada a adopté une Loi instituant le Mois du patrimoine libanais. En effet, le projet loi S-246 de la sénatrice Jane Cordy a reçu la sanction royale le 20 juin et promulgue que le mois de novembre est désormais connu ici comme le « mois du patrimoine libanais ». Ce projet de loi sénatorial était une copie conforme du C-268 de la Chambre des communes parrainé par la député néo-écossaise Lena Metlege Diab, dont la famille est d’origine libanaise.

Pour l’occasion, comme vous connaissez sûrement déjà la profonde affection de La cuisine bleue pour la culture libanaise, j’aimerais donc ajouter mon petit grain de sel à la sauce. Avec ce billet, je compte vous faire découvrir cette communauté historique importante pour les sociétés québécoise et canadienne, tant d’un point de vue culturel qu’économique.

Un peuple éprouvé par l’histoire

La Phénicie

L’histoire du peuple libanais, c’est l’histoire des grands empires de l’Ancien Monde. Les ancêtres antiques des Libanais sont les Phéniciens, eux-mêmes descendants des Cananéens. Ce peuple sémitique exerçait, à partir d’un chapelet de petites cités-états autonomes, une emprise commerciale sur tout le pourtour de la mer Méditerranée et on le connaît comme l’inventeur de l’alphabet.

Ça c’était jusqu’en 800 av. J.-C. C’est à peu près à partir de ce moment-là que les prises successives commencent.

Les invasions grecque, romaine et arabe

La Phénicie est d’abord conquise par les empires assyriens et babyloniens, puis par Alexandre de Macédoine. Par la suite, c’est Rome qui la prend pour l’intégrer à la province de Syrie. Le grec et l’araméen supplantent alors la langue phénicienne qui disparaît. La région reste romaine jusqu’au VIIIe s. alors qu’elle passe sous la domination des divers empires arabo-musulmans (omeyyade, abbasside, entres autres) jusqu’au XIIe s. Les Croisés fondent alors dans la région les États latins d’Orient pour reprendre la Terre Sainte des mains des musulmans. Cette période s’étend sur un peu plus de deux siècles, jusqu’au XVe. s. tandis que les Mamelouks d’Égypte éclipsent les armées papistes. Sous l’emprise des dynasties arabes, la langue araméenne disparaît de l’usage public au profit de l’arabe pour n’être confinée qu’à la liturgie chrétienne.

Le régime ottoman

Arrivent alors les Ottomans en 1516 qui prennent le contrôle de la région et y règneront jusqu’au XXe s. Même si aujourd’hui les Turcs ottomans sont surtout connu pour leurs actes de répressions (non seulement les génocides des Arméniens et des Grecs pontiques, mais aussi plus généralement des chrétiens d’Orient), c’est curieusement sous leur emprise que l’ancienne Phénicie acquiert son identité libanaise actuelle et prend, en quelques sortes, son essor. On voit naître entre autres l’émirat, puis la mutasarrifiya du Mont-Liban et le vilayet de Beyrouth qui donnent la personnalité politique aux Libanais. C’est pendant la domination ottomane qu’on voit une succession de raids contre les paysans chrétiens de la montagne ainsi que des famines orchestrées. Pour les protéger, c’est suite à la signature d’un traité de la Sublime Porte avec la France de François Ier que l’influence de l’Hexagone se fait sentir, chez les Libanais chrétiens et en particulier les maronites.

Le mandat français

À la chute de l’Empire ottoman après la Première guerre mondiale, le Liban passe alors sous mandat français confié par la Société des Nations à partir de 1918. La communauté maronite (des catholiques de rite oriental) obtient un traitement fortement préférentiel par les nouvelles autorités. Ils ont le privilège d’être dans les hautes sphères de l’administration au détriment des orthodoxes et des musulmans.

L’indépendance

Le Liban devient finalement indépendant en 1943. Dès la fondation de la république, il est un pays relativement prospère et constitue une plaque tournante de l’économie et des finances au Moyen-Orient. On le surnomme « la Suisse du Levant ».

Les conquêtes successives sont peut-être désormais terminées, mais les problèmes des Libanais sont loin d’être terminés. Peu après son indépendance, éclate en 1948, la guerre avec le nouvel État d’Israël. Cette guerre aura pour conséquence le bouleversement du fragile équilibre démographique libanais (à très faible majorité chrétienne), suite à l’arrivée de 100 000 réfugiés palestiniens (majoritairement musulmans). Ce débalancement démographique, couplé aux tensions interconfessionnelles préexistantes et déjà exacerbées durant le mandat français, aura pour conséquence ultime la Guerre civile qui dure de 1975 à 1990. À l’issue de celle-ci, le pays passe sous tutelle syrienne et redevient indépendant en 2005.

Il est à noter que la fin de la guerre n’a pas été accompagnée des réformes constitutionnelles qui s’imposaient et que les tensions communautaires qui existaient avant la guerre sont toujours bien présentes de nos jours. Elles sont même aggravées par l’arrivée, après 2011, des réfugiés syriens eux-mêmes aux prises avec leur propre guerre civile. En plus de l’invasion par DAECH à partir de 2014.

PSX_20230701_145000.jpg Une derbouké, instrument de percussion traditionnel.

Les Libanais du Québec

Maintenant que la grande histoire est établie, on peut passer à la communauté libanaise de notre coin du Nouveau-Monde. La présence syro-libanaise au Québec remonte à très loin. À 1882 pour être exact. Je dis syro-libanaise, car tel qu’expliqué ci-dessus, avant 1943 la République libanaise n’existait pas. On parlait plutôt de la province de Syrie sous l’Empire ottoman ou du Grand-Liban sous le mandat français, successivement. Quoiqu’il en soit, les Levantins sont ici depuis très longtemps. Ils sont une communauté très importante en nombre et ont eu un impact durable sur l’identité collective et l’économie québécoise.

Tel que mentionné ci-dessus, la première vague d’arrivants à s’établir ici s’est produite en 1882. Le Mont-Liban était aux prises avec des conflits interconfessionnels et plusieurs familles chrétiennes ont fui pour le Canada et les États-Unis en quête de prospérité. Une seconde vague survient vers la fin des années 1950 en raison de soulèvements politiques et interconfessionnels causés par la Crise de Suez ainsi que par l’arrivée massive de réfugiés palestiniens après l’indépendance d’Israël. Une grande partie des Québécois d’origine libanaise sont les descendants de cette deuxième vague et jusqu’à ce moment, la presque totalité de ceux-ci étaient des chrétiens maronites et orthodoxes. Cela dit, la plus grande vague d’immigration libanaise s’est produite pendant la guerre civile, c’est-à-dire entre 1975 et 1990. Cette dernière grande vague est beaucoup plus diversifiée d’un point de vue confessionnel et a attiré des gens d’ailleurs que de la région du Mont-Liban. Elle comprend également beaucoup de personnes plus éduquées que lors des dernières vagues, notamment des médecins qui se sont établis aux quatres coins du Québec pour y pratiquer.

C’est à Montréal qu’on trouve la plus grande communauté libanaise au Canada et c’est surtout dans la région métropolitaine que sa présence se remarque, mais l’influence de ses membres se fait sentir partout au Québec. Dans le milieu culturel, on n’a qu’à penser au dramaturge Wajdi Mouawad, au rappeur K. Maro (Cyril Kamar) ou encore au défunt mari de Céline Dion, René Angélil (qui était Syrien). Tous ont des racines levantines. Dans le milieu commercial, on ne peut pas passer sous silence la famille de M. Salim Rassy dit Rossy, propriétaire de la chaîne de magasins du même nom et également de Dollarama. On peut également penser aux familles Cheaib et Ghrayeb propriétaires des Marchés Adonis. Plus près de moi, même au Saguenay–Lac-Saint-Jean, ils ont laissé leur marque avec la famille Abraham de Chicoutimi, fondatrice du restaurant Chez Georges et de la chaîne Le Coq rôti, deux icônes de pop culture locale. Roberval, dans le Domaine-du-Roy, ma MRC, a même une famille de médecins célèbres localement : les Abinader.

Un spectacle de musique levantine à Gatineau, au Domaine Scott-Fairview.

La cuisine libanaise

Comme la cuisine traditionnelle québécoise, la cuisine libanaise — et particulièrement celle de la région du Mont-Liban — est une cuisine délicieuse, pastorale, simple et substantielle. C’est aussi une cuisine très attachée à son terroir et une cuisine de survivance née au gré des conquêtes et des famines successives. Sans verser dans le relativisme, on pourrait facilement faire certains parallèles entre la culture et l’histoire libanaises et la culture et l’histoire québécoise, mais comme je viens d’expliquer, il est encore plus facile d’en faire avec ces deux cuisines.

À titre d’exemples, voici seulement trois similitudes parmi tant d’autres. D’abord les épices utilisées dans la cuisine libanaise, notamment les sept-épices, sont très similaires en parfums aux épices présentes dans nos plats salés comme le pâté à la viande ou le ragoût : cannelle, clou de girofle, poivre de Jamaïque. Ensuite, nos deux cultures ont un goût très prononcé pour les desserts très sucrés : les baqlawas et autres pâtisseries délicates arrosées de sirop de sucre d’un côté, le pouding chômeur et la tarte au sucre de l’autre. Il y aussi une conserve de viande de mouton hachée confite appelée awarma en cuisine libanaise qui n’est pas sans rappeler nos cretons : c’est virtuellement exactement la même recette à ceci près que l’animal est différent.

C’est comme si nous étions faits pour bien nous entendre!

Explorez les recettes libanaises présentes sur La cuisine bleue

Bonne fête du Canada!